Dans le cadre des efforts mondiaux pour atténuer les effets du changement climatique, les marchés volontaires du carbone sont de plus en plus perçus comme un mécanisme pertinent pour canaliser les investissements vers des projets à faibles émissions. Ces marchés permettent à des acteurs, notamment des entreprises, d’acheter des crédits carbone afin de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Un crédit carbone correspond à une tonne de CO₂ évitée ou retirée de l’atmosphère.
Ces crédits sont généralement générés par des projets tels que la reforestation, la restauration de zones humides, ou encore des initiatives de cuisson propre visant à remplacer les foyers traditionnels polluants. Le fonctionnement de ces marchés repose aujourd’hui sur des standards établis par des organismes de certification indépendants, comme VERRA. Toutefois, la qualité et l’intégrité des crédits générés font l’objet de débats, notamment en matière de transparence, de vérifiabilité et de bénéfices réels pour le climat.
Un cadre international des marchés volontaires du carbone en évolution
L’Accord de Paris de 2015, et en particulier son article 6.4, introduit un mécanisme de marché international permettant la génération et l’échange de crédits carbone certifiés (« A6.4ERs »). Ce mécanisme, une fois opérationnel, devrait permettre une harmonisation des standards et renforcer la crédibilité du marché grâce à une supervision centralisée. Il vise aussi à créer un cadre plus transparent, facilitant la participation des États et du secteur privé à la lutte contre le réchauffement climatique tout en soutenant le développement durable.
Le potentiel africain : ambitions et dynamiques
L’Afrique, bien que dotée d’un fort potentiel en matière de puits de carbone naturels, ne représente qu’une fraction modeste du marché mondial. Selon le rapport 2024 sur les marchés africains du carbone, le continent ne capte qu’environ 16 % des transactions mondiales. En réponse, plusieurs initiatives émergent pour renforcer sa participation. L’Initiative des Marchés du Carbone en Afrique (ACMI), lancée à la COP27, vise notamment à générer 300 millions de crédits carbone par an d’ici 2030, et jusqu’à 1,5 milliard d’ici 2050, tout en soutenant la création d’emplois et la redistribution équitable des revenus.
Des cadres juridiques en structuration
Plusieurs pays africains commencent à adapter leur législation afin de créer un environnement favorable à ces marchés. Ces cadres réglementaires visent à :
- Encadrer l’application de l’Accord de Paris (y compris l’article 6.4),
- Aligner les projets sur les objectifs nationaux de réduction des émissions,
- Assurer une juste répartition des bénéfices entre l’État, les communautés et les investisseurs,
- Attirer des financements internationaux.
Par exemple, le Kenya a modifié en 2023 sa législation sur le changement climatique pour encadrer spécifiquement les marchés du carbone. Des règlements d’application ont suivi en 2024. Le Togo a également adopté une série de textes, dont un décret en mars 2023 et un arrêté en mai 2024 précisant les procédures de validation des projets.
Enjeux clés : propriété, partage des bénéfices, fiscalité
La clarification du régime juridique applicable aux crédits carbone reste cruciale. Deux modèles principaux coexistent :
- Modèle étatique : les crédits appartiennent à l’État, qui en redistribue une part aux développeurs,
- Modèle privé : les développeurs conservent la propriété des crédits, sous réserve de partager une partie des revenus ou des crédits avec l’État ou les communautés locales.
Les accords de partage des bénéfices sont parfois formalisés par des textes, et la fiscalité applicable aux transactions ou à l’exportation des crédits constitue également un levier important pour les États. Toutefois, le manque de clarté ou de stabilité sur ces aspects peut décourager les investisseurs et ralentir la mise en œuvre des projets.
Défis persistants
Malgré les avancées, plusieurs défis subsistent :
- Des cadres juridiques encore incomplets ou récents,
- Une expérience limitée des administrations publiques et des développeurs dans la mise en œuvre de projets carbone,
- Des conflits potentiels avec d’autres législations (droits fonciers, procédures environnementales, marchés publics),
- Des incertitudes liées à l’évolution des standards internationaux et à l’interaction entre marchés volontaires et mécanismes liés à l’Accord de Paris.
Conclusion
Les marchés du carbone peuvent constituer une opportunité importante pour les pays africains, tant en matière de financement climatique que de développement durable. Toutefois, pour en tirer pleinement parti, il est essentiel de mettre en place des cadres réglementaires clairs, cohérents et stables, garantissant à la fois la crédibilité des crédits carbone et une répartition équitable des bénéfices.