La numérisation rapide de l’Afrique entraîne une explosion de la demande en équipements électroniques. Mais ce progrès s’accompagne d’un revers préoccupant : la prolifération des déchets électroniques, ou e-déchets. Cette problématique, encore trop ignorée, menace à la fois la santé publique, l’environnement et les ressources naturelles du continent.
Une crise invisible mais croissante
Chaque année, environ 2,5 millions de tonnes d’e-déchets sont générées en Afrique, selon le Centre africain pour la transformation économique (ACET). Téléphones portables, ordinateurs, électroménagers, batteries et câbles s’accumulent, alimentés non seulement par la consommation locale, mais aussi par des importations massives d’équipements usagés, souvent déguisés en dons ou reconditionnements.
Au Ghana, par exemple, 150 000 tonnes de déchets électroniques étrangers arrivent chaque année, contre seulement 52 000 tonnes de déchets produits localement (données 2019 du PNUD). Près de 97 % de ces déchets sont collectés et recyclés par le secteur informel, via des méthodes artisanales dangereuses.
Un danger sanitaire et écologique majeur
Les e-déchets contiennent des substances hautement toxiques : plomb, mercure, cadmium, et autres polluants organiques persistants. Leur traitement informel par brûlage ou lixiviation libère :
- Des gaz à effet de serre (CO₂, méthane, N₂O)
- Des dioxines et furanes responsables de la pollution de l’air
- Des hydrofluorocarbures (HFC) aux effets dévastateurs sur le climat
Les conséquences sont dramatiques : maladies respiratoires, troubles neurologiques, cancers, avec des risques accrus pour les femmes enceintes et les enfants.
Une économie informelle vitale mais dangereuse
L’Afrique compte des dizaines de milliers de travailleurs informels dans le recyclage des e-déchets. À Agbogbloshie (Ghana), jusqu’à sa démolition en 2021, plus de 6 000 personnes œuvraient sans protection. En Afrique du Sud, plus de 10 000 personnes dépendent de cette activité.
Malgré sa prédominance, le secteur informel reste inefficace et nocif. Pourtant, certains pays montrent la voie :
- Afrique du Sud : infrastructures formelles, incitations financières
- Rwanda, Égypte : politiques de collecte émergentes
Une mine urbaine sous-exploitée
Les e-déchets sont riches en métaux précieux : or, argent, cuivre, palladium… En 2022, sur une valeur brute potentielle de 91 milliards de dollars de métaux présents dans les e-déchets, seuls 28 milliards ont été réellement récupérés.
Le reste, soit 63 milliards de dollars, est perdu, faute de chaînes de valorisation efficaces. Le Global E-waste Monitor 2024 révèle que le cuivre (19 Md$), l’or (15 Md$) et le fer (16 Md$) concentrent la majorité de cette valeur.
Des cadres juridiques encore faibles
L’Afrique est signataire de conventions internationales clés :
- Convention de Bâle : contrôle des exportations de déchets dangereux
- Convention de Bamako : interdiction des importations de déchets en Afrique
- Convention de Stockholm (polluants organiques)
- Convention de Minamata (mercure)
Cependant, le manque de capacités, de volonté politique et de coordination régionale entrave leur efficacité.
La Responsabilité Élargie du Producteur : un levier sous-exploité
Seuls 13 pays africains disposent de politiques spécifiques sur les e-déchets. La Responsabilité Élargie du Producteur (REP), qui oblige les fabricants à gérer leurs produits en fin de vie, progresse lentement. Le Ghana, la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud et le Nigeria ont adopté cette approche.
Mais pour créer une économie circulaire des e-déchets, il faut aller plus loin :
- Intégrer le secteur informel dans un modèle hybride et sécurisé
- Investir dans les infrastructures de recyclage formel
- Renforcer les réglementations et leur application
- Encourager l’innovation technologique
- Coopérer régionalement pour harmoniser les efforts
Transformer une crise en opportunité
Bien encadrée, la gestion des e-déchets pourrait devenir un levier d’industrialisation verte, de création d’emplois durables et de réduction de la dépendance aux importations de métaux.
L’Afrique a l’opportunité de bâtir un modèle unique de transition numérique responsable. Mais elle doit agir vite pour éviter que la montagne de déchets ne devienne un fardeau irréversible.