Dans les plaines arides de l’intérieur de l’Érythrée, le paysage change. Là où les rivières saisonnières disparaissaient sans laisser de traces, de petits barrages en maçonnerie, construits à la main par les communautés locales, retiennent désormais une ressource vitale : l’eau. Grâce à ces ouvrages et à un réseau d’irrigation adapté, les cultures survivent même pendant les mois les plus secs.
Face à une vulnérabilité chronique à la sécheresse, l’Érythrée a fait le pari d’une solution simple et efficace : mobiliser les communautés rurales autour de la construction de barrages à petite échelle avec des matériaux locaux. Un choix stratégique appuyé par l’expertise technique et les financements concessionnels de la Banque africaine de développement.
Depuis 2015, plus de 880 barrages ont été construits ou réhabilités, notamment dans les zones les plus isolées. À Guritata, au centre du pays, Bekit Idris témoigne de cette transformation : « Avant, nos récoltes dépendaient entièrement de pluies devenues de plus en plus imprévisibles. Aujourd’hui, grâce au barrage, je cultive des céréales, des fruits, des légumes et même du fourrage pour le bétail. Je récolte désormais trois fois par an. »
Au nord, dans la région d’Anseba, l’agriculteur Hamed Meskel a lui aussi vu sa vie changer. Ses puits s’asséchaient, contraignant l’abandon des cultures. « Le barrage d’Aderde a tout changé. L’eau est revenue, et avec elle, la production. »
Sa ferme, devenue parcelle de démonstration, inspire plus de 350 foyers agricoles dans la région. Les rendements ont grimpé de 30 %, l’autosuffisance alimentaire progresse, et les excédents s’écoulent sur les marchés locaux.
Une stratégie de résilience à grande échelle
Ces réalisations s’inscrivent dans le Programme de résilience à la sécheresse et de moyens de subsistance durables, piloté par la Banque africaine de développement dans la Corne de l’Afrique. En Érythrée, il prévoit la construction de 116 barrages au total, certains capables de retenir jusqu’à 110 000 m³ d’eau. Des points d’eau communautaires, la réhabilitation de terres dégradées (plus de 200 hectares), et la fourniture d’intrants agricoles complètent l’approche.
Mais les impacts vont bien au-delà de l’eau. Le programme a permis une transition vers une agriculture plus productive, tournée vers le marché. Il stimule aussi la formation, l’innovation locale et la structuration de chaînes de valeur agroalimentaires.
Une dynamique portée par les communautés
« Le succès du programme repose sur la forte implication des communautés », souligne Kenneth Onyango, responsable des programmes de la Banque en Érythrée. « Les résultats sont là : la résilience augmente, les moyens de subsistance s’améliorent, et l’agriculture devient une véritable source de revenus. »
Le programme, qui entre dans sa cinquième phase, se poursuivra jusqu’en décembre 2026. À terme, il devrait renforcer durablement la sécurité alimentaire du pays, en particulier pour les populations rurales et agro-pastorales.
Pour Hadgu Gebrendrias, coordinateur national du programme, l’enjeu est aussi environnemental : « Ces infrastructures ont favorisé la mise en place de techniques de conservation des sols et de l’eau sur plus de 9 800 hectares, dans les six régions du pays. »
L’eau stockée dans les barrages irrigue désormais bien plus que les cultures : elle nourrit l’espoir d’un développement rural durable, dans un pays confronté de longue date aux caprices du climat.


