Le 29 mai 2025, lors des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) tenues à Abidjan, l’économiste mauritanien Sidi Ould Tah a été élu président de l’institution. Cette victoire, acquise dès le troisième tour de scrutin avec plus de 76 % des voix, reflète non seulement un large consensus, mais aussi une habile orchestration diplomatique. Décryptage d’un mode de scrutin exigeant et des dynamiques politiques qui ont façonné ce choix décisif pour l’avenir de la finance du développement en Afrique.
Un scrutin à double majorité
L’élection du président de la BAD repose sur un mécanisme rigoureux, garantissant un équilibre entre les pays africains membres (dits « régionaux ») et les partenaires internationaux (dits « non régionaux »).
Chaque pays membre détient un nombre de droits de vote proportionnel à sa participation au capital de la banque. Le président est élu par les gouverneurs — généralement ministres des Finances ou gouverneurs de banques centrales — réunis en Assemblée annuelle.
Pour l’emporter, un candidat doit impérativement réunir :
- plus de 50 % des voix des pays africains,
- et plus de 50 % des voix de l’ensemble des membres, régionaux et non régionaux confondus.
Ce système à double majorité évite qu’un président soit élu uniquement par les bailleurs extérieurs ou par un groupe de pays africains. Il favorise les candidatures capables de bâtir des coalitions transrégionales.
Une victoire issue d’une campagne méthodique
L’élection s’est jouée en trois tours successifs, traduisant une montée en puissance progressive du consensus autour de Sidi Ould Tah. Dès le premier tour, le candidat mauritanien s’est hissé en tête, devançant ses principaux rivaux — l’ancien ministre sénégalais Amadou Hott et le Zambien Samuel Maimbo — sans toutefois franchir la double majorité requise. Au second tour, des voix africaines initialement dispersées ont commencé à se rallier à sa candidature, à mesure que certains États, notamment d’Afrique de l’Est et du Centre, s’écartaient des candidatures régionales fragmentées. Le troisième tour, décisif, a vu Sidi Ould Tah obtenir 76 % des voix, franchissant largement les seuils imposés par le règlement électoral, aussi bien du côté des pays africains que des membres non régionaux.
Cette progression méthodique illustre à la fois sa capacité de rassemblement et l’efficacité de sa stratégie diplomatique. Les résultats ont été annoncés par Nialé Kaba, ministre de l’Économie, du plan et du développement de la Côte d’Ivoire et présidente du Conseil des gouverneurs du Groupe de la Banque.
1. Un solide bilan à la BADEA
M. Tah possède plus de 35 ans d’expérience en finance africaine et internationale. Depuis 2015, Ould Tah dirigeait la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), où il a triplé le capital de l’institution et obtenu une notation AAA. Ce bilan, salué par de nombreux observateurs, a pesé face à des profils plus politiques ou techniques.
2. Soutiens africains décisifs
Le candidat mauritanien a bénéficié du soutien discret mais déterminant de la Côte d’Ivoire, pays hôte de la BAD, et d’un appui important du Nigeria, principal actionnaire africain. Sa capacité à obtenir un large soutien au sein de l’Afrique de l’Ouest, y compris de pays comme le Congo-Brazzaville et la Tunisie, a été essentielle.
3. Convergence des pays non africains
Côté non régional, Ould Tah a su convaincre les actionnaires influents :
- Pays du Golfe (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Koweït),
- France et Espagne, avec qui il entretient des liens anciens,
- Banques multilatérales et agences de développement, sensibles à sa rigueur de gestion.
4. Désunion des rivaux
La candidature d’Amadou Hott, bien qu’initialement soutenue par une partie de la CEDEAO, a souffert du retrait de l’appui ivoirien. De son côté, le Zambien Samuel Maimbo n’a pas pu rallier suffisamment de voix au sein de la SADC. Cette fragmentation des blocs régionaux a laissé le champ libre à une candidature consensuelle.
Quelle présidence pour la BAD ?
L’élection de Sidi Ould Tah pourrait ouvrir une nouvelle ère de rééquilibrage géopolitique au sein de la BAD. Il devra s’attaquer à plusieurs défis majeurs :
- Accélérer le financement climatique en Afrique ;
- Renforcer la souveraineté alimentaire via la transformation agro-industrielle ;
- Attirer davantage d’investissements du Golfe et d’Asie ;
- Renforcer la transparence dans l’allocation des financements.
Sa capacité à maintenir l’unité des actionnaires tout en répondant aux priorités des pays africains sera déterminante.
Conclusion
L’élection de Sidi Ould Tah n’est pas simplement le résultat d’un vote technique : elle incarne un compromis géostratégique entre les intérêts africains et les priorités des bailleurs de fonds non africains. Grâce à son profil technocratique, son ancrage africain et sa diplomatie proactive, il est parvenu à franchir le double seuil requis par le mode de scrutin de la BAD. Le continent attend désormais que cette légitimité se traduise en actions concrètes et ambitieuses.