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Cameroun : une fiscalité verte pour lutter contre la déforestation

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Dans sa circulaire d’exécution de la loi de finances 2025, l’État du Cameroun introduit une fiscalité environnementale inédite. Le texte prévoit notamment un abattement de 20 % sur la valeur FOB à l’exportation de certains produits agricoles et forestiers, dont le bois en grumes, le cacao et l’hévéa. Cette exonération est conditionnée à la présentation d’un certificat de conformité aux normes de lutte contre la déforestation, délivré par le ministère compétent. Une mesure qui, si elle semble aller dans le sens des exigences internationales, suscite de nombreuses interrogations de la part des experts du secteur.

Une réponse aux pressions internationales ?

Derrière cette initiative, plusieurs observateurs devinent une tentative d’alignement sur les normes environnementales européennes, notamment dans le cadre du règlement européen contre la déforestation importée (RDUE). Mais pour Samuel Nguiffo, directeur du Centre pour l’environnement et le développement (CED) à Yaoundé, cette mesure pose un sérieux problème d’applicabilité.

« Pour le bois, il n’existe pas à ce jour de norme spécifique en matière de lutte contre la déforestation dans la législation camerounaise », affirme l’avocat et militant écologiste. En effet, si des certificats de conformité à la législation forestière peuvent être délivrés, ces textes ne garantissent pas la durabilité de l’exploitation. Dès lors, sur quelle base légale s’appuie cette nouvelle mesure ?

Une incitation contre-productive ?

L’autre crainte majeure formulée par Samuel Nguiffo concerne le message implicite que cette disposition pourrait envoyer. « Cette fiscalité dit en substance : vous pouvez continuer à exporter du bois en grumes, et en plus, bénéficier d’un abattement fiscal », déplore-t-il.

Plutôt que de récompenser les exportateurs de matières premières peu ou pas transformées, le directeur du CED aurait préféré que l’incitation fiscale s’oriente vers les entreprises qui investissent dans la transformation locale, générant ainsi plus de valeur ajoutée et d’emplois pour le pays. « Il faut décourager totalement les exportations de bois en grumes », insiste-t-il.

Un outil fiscal pertinent, mais à repenser ?

Pour Alain Karsenty, économiste et chercheur au CIRAD, cette initiative fiscale va dans le bon sens… mais manque de finesse. Favoriser une fiscalité différenciée pour les produits durables est une bonne approche selon lui, mais le choix d’un abattement uniforme de 20 % semble excessif, surtout dans un pays en tension budgétaire.

« Cette baisse unilatérale de la taxe à l’exportation représente une perte de recettes non négligeable pour l’État camerounais », alerte l’expert. Il propose plutôt un système de type “bonus-malus”, où l’on augmenterait progressivement les taxes sur les produits non certifiés, non tracés, et non durables. Le bonus, c’est la réduction de la taxe pour les produits vertueux, mais seulement si le malus existe en contrepartie, pour maintenir l’équilibre budgétaire.

Une logique budgétaire sous influence ?

Derrière cette réforme, Alain Karsenty perçoit une influence directe des bailleurs internationaux, notamment le Fonds monétaire international (FMI). L’adoption de cette fiscalité verte serait ainsi une condition préalable au déblocage de financements, dont 183 millions de dollars issus du Fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité. Une somme importante, mais qui interroge sur la souveraineté des politiques fiscales environnementales lorsqu’elles sont adossées à des contraintes de financement extérieur.

Quel avenir pour la fiscalité environnementale au Cameroun ?

Cette réforme marque sans doute une étape importante dans la transition verte de la politique fiscale camerounaise. Mais pour qu’elle soit efficace, elle devra s’accompagner d’une clarification juridique sur les normes de certification, d’une réforme des incitations à la transformation locale, et d’un encadrement équilibré des effets budgétaires.

En l’état, la mesure pourrait paradoxalement favoriser l’exportation de produits bruts, tout en prétendant lutter contre la déforestation. Une situation que dénoncent déjà les acteurs de la société civile, appelant à une refonte plus ambitieuse et cohérente de l’outil fiscal au service du climat.

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