Kirehe, Rwanda – Dans l’Est du Rwanda, au cœur du district sec de Kirehe, un vent de changement souffle sur les exploitations agricoles familiales. Victor Ndwaniye, cultivateur de légumes et père de six enfants, se souvient encore de l’époque où il devait puiser l’eau à la main dans le lac voisin pour irriguer son champ. Depuis 2020, il utilise un système d’irrigation solaire qui a radicalement amélioré sa productivité.
Cette transformation s’inscrit dans un effort national visant à intégrer l’énergie solaire à toutes les étapes de la chaîne de valeur agricole. Le gouvernement rwandais, à travers le Rwanda Agriculture and Animal Resources Development Board (RAB), ambitionne de porter les surfaces irriguées par énergie solaire de 646 hectares actuellement à 1 146 hectares d’ici 2029. Cette stratégie répond à un double impératif : accroître la résilience climatique des petits exploitants et réduire les émissions liées aux pompes diesel, encore largement utilisées dans les zones rurales sans électricité.
Une réponse locale à une urgence globale
Dans la région de Kirehe, sujette à de longues saisons sèches, l’irrigation manuelle limitait jusqu’à récemment les rendements agricoles. Grâce à l’énergie solaire, des systèmes de pompage autonomes livrent désormais avec précision l’eau nécessaire aux cultures, même en période de stress hydrique. Pour Ndwaniye, les résultats sont clairs : sa production de légumes est passée d’une tonne à trois tonnes par hectare après seulement deux saisons d’irrigation solaire.
Ce progrès n’est pas isolé. Le RAB recense aujourd’hui plus de 1 100 exploitants et 299 coopératives agricoles qui exploitent l’irrigation solaire à grande échelle. Dans les zones les plus arides de l’Est, 87 coopératives utilisent déjà cette technologie pour augmenter les rendements tout en économisant l’eau.
Des coûts d’accès encore élevés
Malgré les gains, le coût d’acquisition initial reste un frein pour de nombreux agriculteurs. L’État et ses partenaires subventionnent partiellement ces équipements, mais la charge financière demeure importante pour les petits producteurs. Cette contrainte limite encore la diffusion massive de ces solutions pourtant prometteuses.
Selon Jerome Hitayezu, responsable du programme irrigation au RAB, « l’irrigation solaire est désormais une option standard pour l’approvisionnement en eau dans les zones hors réseau ». Cependant, il plaide pour un meilleur accès au financement et un accompagnement ciblé pour les ménages agricoles.
Une révolution silencieuse portée par l’énergie propre
Cette dynamique locale fait écho à une tendance plus large en Afrique subsaharienne. Une étude de l’Université de Sheffield démontre que l’irrigation solaire constitue une rupture stratégique pour l’agriculture africaine. Elle permet non seulement de s’affranchir des aléas climatiques, mais aussi de réduire la dépendance au diesel, coûteux et polluant.
Le World Resources Institute (WRI) soutient activement cette transition à travers son initiative PURE (Productive Use of Renewable Energy). En collaborant avec les gouvernements, les institutions financières et les PME locales, le WRI œuvre à intégrer l’énergie propre dans toutes les étapes de la chaîne agricole : pompage, réfrigération, transformation, stockage et transport.
Selon Benson Ireri, directeur Afrique pour l’accès à l’énergie au WRI, « l’intégration des énergies renouvelables dans l’agriculture est essentielle pour réduire les coûts, augmenter les revenus des agriculteurs et créer des opportunités d’emplois ruraux ».
Une trajectoire vers la souveraineté alimentaire verte
Alors que l’agriculture représente 70 % des émissions de gaz à effet de serre du Rwanda, selon l’Agence nationale de l’environnement (REMA), la généralisation des systèmes solaires constitue une réponse concrète aux enjeux de transition écologique. En parallèle, des institutions telles que l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) identifient dans les technologies hors réseau un gisement d’emplois pour les jeunes Africains.
À Kirehe, Victor Ndwaniye partage désormais son expérience avec d’autres agriculteurs. « Grâce à l’irrigation solaire, je peux cultiver toute l’année. Je ne dépends plus de la pluie », confie-t-il avec fierté. Pour lui, comme pour de nombreux exploitants de la région, l’agriculture solaire n’est plus une utopie, mais une réalité en marche.