Un rapport récemment publié par l’Institut pour la justice économique (IEJ) alerte sur l’impact massif du service de la dette publique sur les capacités budgétaires des pays africains. Intitulé « Diverting Development : The G20 and External Debt Service Burden in Africa », ce rapport démontre que la montée en flèche des paiements de la dette extérieure détourne des ressources essentielles des domaines cruciaux comme la santé, l’éducation et la lutte contre le changement climatique.
Le service de la dette dépasse les besoins en financement climatique
D’ici 2030, les pays africains devront consacrer en moyenne 137,4 % de leurs besoins annuels en financements climatiques au service de leur dette publique. Dans plusieurs pays, ce ratio est alarmant :
- Gambie : 3259,5 %,
- Gabon : 278,4 %,
- Ghana : 258,2 %,
- Sénégal : 187,7 %,
- Côte d’Ivoire : 187,2 %,
- Sao Tomé-et-Principe : 150,1 %.
Des paiements record depuis la crise des années 2000
Bien que l’encours de la dette extérieure du continent soit relativement modéré (746 milliards USD, soit 25 % du PIB africain), le service de la dette atteint un niveau record. En 2024, les gouvernements africains ont alloué 163 milliards USD au remboursement de leur dette, contre 61 milliards USD en 2010. En 2023, ces paiements représentaient :
- 16,7 % des recettes publiques,
- 14,8 % des recettes d’exportation,
- 4,7 % pour les seuls intérêts de la dette.
Résultat : 751 millions d’Africains (soit 57 % de la population) vivent dans des pays où l’État dépense davantage pour rembourser sa dette extérieure que pour financer la santé publique. Au moins 30 pays africains consacrent plus d’argent aux intérêts de la dette qu’aux soins de santé.
La dette commerciale, plus risquée, gagne du terrain
L’augmentation du service de la dette s’explique par deux facteurs :
- la hausse des remboursements du principal,
- le coût plus élevé des emprunts commerciaux.
Alors que la part de la Banque mondiale (≈ 20 %) et de la BAD (≈ 7 %) est restée stable entre 2008 et 2023, les détenteurs d’euro-obligations sont devenus les principaux créanciers :
- 12 % de la dette extérieure en 2008 (25 milliards USD),
- 25 % en 2023 (186 milliards USD).
La Chine monte, le Club de Paris recule
Parmi les créanciers bilatéraux, la Chine est passée de 4 % de la dette africaine en 2008 à 8 % en 2023 (62 milliards USD). En revanche, la part du Club de Paris, connu pour ses conditions concessionnelles, a chuté de 28 % à 6 %.
Un coût d’emprunt insoutenable
Conséquence de cette évolution : les rendements obligataires africains atteignaient 9,8 % en 2023, contre :
- 5,3 % en Asie-Océanie,
- 6,8 % en Amérique latine.
Cette situation aggrave les difficultés de refinancement, alourdit la dette future et freine les investissements durables.
Les mécanismes d’allègement du G20 jugés inefficaces
Le rapport critique l’inefficacité des dispositifs d’allègement du G20, notamment l’Initiative de suspension du service de la dette (DSSI) et le Cadre commun pour le traitement de la dette. Ils sont jugés :
- trop lents,
- peu transparents,
- faiblement incitatifs pour les créanciers privés.
Recommandations de l’Institut pour la justice économique
Pour alléger durablement la dette, l’IEJ propose :
- Un moratoire automatique de deux ans dès l’ouverture des négociations dans le cadre du Cadre commun,
- La suspension des intérêts pendant les négociations,
- Une analyse de viabilité de la dette (DSA) intégrant les risques climatiques,
- L’élargissement de l’éligibilité aux pays à revenu intermédiaire.