Face à une crise hydrique sans précédent, la Tunisie renforce sa stratégie nationale pour la protection et la gestion durable de ses ressources en eau. Au cœur de cette dynamique, le programme GEEST – Gestion Équilibrée des Eaux Souterraines en Tunisie, porté par la SWDE (Société wallonne des eaux) en partenariat avec Enabel et les institutions tunisiennes, constitue une réponse concrète aux enjeux croissants liés à la raréfaction de l’eau.
Une crise structurelle aggravée par le climat
La Tunisie fait face à une double pression : d’un côté, les effets du changement climatique accentuent la sécheresse et la variabilité des précipitations ; de l’autre, la surexploitation des nappes souterraines menace leur régénération naturelle. Selon les estimations, près de 50 000 puits sont aujourd’hui exploités en dehors de tout contrôle, compromettant la durabilité de ces ressources vitales.
Ces tensions s’inscrivent dans un contexte d’infrastructures vieillissantes, de gouvernance fragmentée et de croissance urbaine rapide, rendant la situation encore plus critique. Pourtant, les nappes souterraines représentent 42 % des ressources en eau exploitable du pays, ce qui en fait un levier stratégique pour l’avenir.
GEEST : une approche structurée et multisectorielle
Lancé dans le cadre de la Stratégie Eau 2050 de la Tunisie, le programme GEEST s’appuie sur cinq piliers essentiels pour restaurer un équilibre durable entre offre et demande :
- Modernisation du réseau de surveillance, grâce à l’installation de piézomètres connectés à des capteurs de télémesure pour suivre en temps réel le niveau des nappes.
- Installation de compteurs intelligents sur les puits, qu’ils soient légaux ou non, afin de mesurer précisément les volumes prélevés.
- Création d’une plateforme numérique centralisée, permettant de croiser les données, faciliter l’analyse et guider les décisions politiques et opérationnelles.
- Digitalisation de la gouvernance de l’eau, en dématérialisant les procédures administratives, les autorisations et le suivi réglementaire.
- Sensibilisation des usagers locaux, notamment les agriculteurs, les industriels et les gestionnaires publics, pour favoriser une appropriation collective des enjeux de gestion durable.
Ce programme marque un changement de paradigme : il s’agit de passer d’une logique de simple mobilisation des ressources à une véritable gestion intelligente, préventive et inclusive des eaux souterraines.
Une coopération internationale fondée sur l’action
Le 22 mars 2025, lors de la Journée mondiale de l’eau, la SWDE a rappelé son engagement à soutenir les pays partenaires, notamment en Afrique, dans la réalisation du principe « Ne laisser personne de côté » inscrit dans l’Agenda 2030 des Nations Unies. En Tunisie, cette ambition se concrétise par un appui technique renforcé, issu d’un partenariat solide avec l’Union européenne, mais aussi des liens de longue date avec des institutions françaises, autrichiennes et belges.
Un précédent projet de jumelage, mené entre 2019 et 2022, avait permis des avancées notables, mais insuffisantes pour freiner durablement la dégradation des nappes. GEEST s’inscrit ainsi dans une démarche de continuité et d’approfondissement, pour faire de la Tunisie un modèle régional en matière de gouvernance hydrique durable.
Rééquilibrer les priorités en matière d’eau
Historiquement, la politique tunisienne de l’eau s’est concentrée sur la mobilisation des eaux de surface, utilisant près de 80 % d’un potentiel annuel estimé à 2,1 milliards de m³. En comparaison, les eaux souterraines — estimées à 1,97 milliard de m³ par an — ont longtemps été reléguées au second plan.
Avec GEEST, ce déséquilibre historique est progressivement corrigé. Le programme ambitionne de positionner les eaux souterraines comme pilier central de la sécurité hydrique du pays, en assurant leur protection, leur usage rationnel, et leur intégration dans les politiques de résilience climatique et de transition verte.